Le professeur Sanni Yaya est devenu, au mois de juillet 2020, le tout premier Vice-recteur International et Francophonie de l’Université d’Ottawa. Chercheur renommé au riche parcours universitaire, il est reconnu pour ses travaux dans le domaine de la santé mondiale. Il a été professeur invité aux universités Harvard, Johns Hopkins et d’Oxford et plus récemment professeur honoraire à la Imperial College London. Son nouveau rôle consistera à chapeauter la conception, la coordination et la mise en œuvre de stratégies d’internationalisation partout à l’Université. Il a aussi pour mandat de voir à la promotion et au renforcement de la francophonie ontarienne, canadienne et internationale sur le campus. M. Yaya a accepté de répondre à nos questions
Monsieur Yaya, vous avez déjà évoqué l’importance pour l’Université d’Ottawa de déployer l’offre d’un projet éducatif ouvert sur une expérience inter et transculturelle et la mise en place de nouveaux réseaux de collaboration en recherche. L’AUF représente un espace propice au réseautage et aux collaborations. Comment envisagez-vous à cet égard la relation AUF-Université d’Ottawa ?
En tant que réseau multilatéral réunissant des centaines d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche répartis dans plusieurs pays au sein de projets de coopération scientifique, l’AUF a une influence qui s’étend au-delà de ses membres immédiats. Le caractère international de l’Université d’Ottawa et une plus grande valorisation de la Francophonie sont essentiels pour le développement d’une recherche d’excellence. En tant que premier Vice-recteur International et Francophonie, j’ai le mandat de proposer une stratégie concertée destinée à reconstruire notre déploiement sur la scène internationale, grâce à des projets structurants et conjoints avec des organisations d’envergure comme l’AUF et une meilleure mutualisation de nos ressources.
Par ailleurs, l’AUF a déjà avec l’Université d’Ottawa, notamment le Centre d’études en gouvernance, une collaboration dont nous sommes très fiers. Depuis 2019, notre Centre d’études en gouvernance hébergé à la Faculté des sciences sociales administre un programme de stage de formation et de recherche en gouvernance universitaire destiné à renforcer les capacités de gestion et de gouvernance des universités situées dans les pays du Sud. La formation a été initiée par la direction régionale des Amériques et appuyée par le Programme canadien de bourses de la Francophonie, avec comme principal bailleur de fonds, Affaires mondiales Canada. Dans ce contexte, nous avons aussi développé une collaboration avec l’Institut de la Francophonie pour la Gouvernance Universitaire (IFGU) qui est un institut de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). Puisque la formation en gouvernance universitaire cette année sera offerte en télé-enseignement, nous utiliserons les infrastructures du campus numérique de l’espace universitaire francophone de l’AUF.
Nous aimerions travailler avec l’AUF à la mobilisation et à la valorisation des savoirs en français. Nous avons le projet d’un Balado Franco en chantier, qui réunira aussi quelques grands médias. Nos priorités en matière de recherche visent à forger des alliances avec de nouveaux partenaires et à consolider les collaborations de recherche existantes ou émergentes afin de renforcer et diversifier la Francophonie à l’Université d’Ottawa. Nous souhaitons soutenir le développement d’équipes de recherche internationales engagées dans des problématiques de l’heure, renforcer les réseaux universitaires afin de favoriser l’innovation et le renforcement de la pertinence sociale, scientifique et technologique des résultats de recherche. Il m’apparaît extrêmement important de mieux faire valoir notre spécificité et notre potentiel d’expertise auprès des grands organismes internationaux et de mobiliser le secteur privé autour de nos programmes. Grâce à des investissements ciblés, nous envisageons de soutenir par exemple le développement conjoint de projets de création ou de renforcement de formations professionnalisantes avec nos partenaires en Afrique.
L’Afrique compte plus de la moitié des 300 millions de locuteurs francophones dans le monde et constitue une zone incontournable pour penser la francophonie de demain. Pourriez-vous justement nous parler des initiatives mises en place par l’Université d’Ottawa sur les questions africaines ?
L’Afrique francophone reste au cœur de la stratégie d’internationalisation de l’Université d’Ottawa et revêt un intérêt d’importance stratégique pour l’institution. Notre nouveau plan stratégique Transformation 2030 nous impose de jouer un rôle de premier plan sur la vaste scène interculturelle de la francophonie internationale, en continuant à appuyer de manière indéfectible les communautés et les cultures francophones du monde. Nous entretenons des partenariats privilégiés avec de nombreux pays africains et souhaitons initier de nouvelles formes de collaboration plus dynamiques, dans un contexte où l’attractivité du Canada auprès de la jeunesse africaine n’a cessé de croître.
Nous avons mis en place, en 2014, un programme d’exonération partielle des droits de scolarité permettant aux étudiants internationaux inscrits à temps plein à un programme d’études en français ou inscrits à un programme d’études en anglais offrant le régime d’immersion en français de payer les mêmes droits de scolarité que les citoyens canadiens et les résidents permanents. Cette initiative extrêmement populaire a permis par exemple d’augmenter de façon significative la proportion d’étudiants internationaux francophones sur le campus, avec une augmentation de l’ordre de 301 % depuis la mise en place du programme. Évidemment, ces étudiants viennent majoritairement de l’Afrique, bien que certains proviennent d’autres pays émergents francophiles.
Les impératifs du développement socio-économique du continent africain exigent que notre stratégie prenne en compte les nouvelles conditions matérielles, humaines et scientifiques de la croissance. Nous allons revitaliser nos programmes en vue d’offrir des formations novatrices et axées sur les compétences transférables sur le marché de l’emploi. Il nous faut proposer des programmes pertinents et des filières résolument axés sur les défis africains de l’heure. Je me permets de rappeler que le financement de la recherche, l’accès à une formation supérieure de qualité et le chômage représentent de véritables enjeux, dans un contexte où les jeunes de 15 à 25 ans représentent plus de 62 % de la population africaine et constituent plus de 48 % de la main-d’œuvre du continent.
Notre partenariat avec l’Afrique va au-delà de la formation. Nous envisageons aussi la création et la mise en réseau de centres de recherche avec l’Alliance des universités de recherche en Afrique (ARUA). Nous souhaitons plus que jamais participer de façon active au processus mondial de production du savoir, enrichir par l’entremise de nos réseaux, notre compréhension mutuelle des enjeux et des défis de notre monde et contribuer à la construction de sociétés plus justes et prospères, conditions sine qua non d’un développement plus durable.
L’Université d’Ottawa est un établissement unique, notamment par sa vocation d’institution bilingue qui a un rôle à jouer dans la mouvance de l’enseignement supérieur dans la francophonie canadienne et internationale. Quel est selon vous son rôle à jouer au regard plus précisément des minorités linguistiques et des francophones hors Québec ?
Bien que l’Université d’Ottawa ne soit pas la seule institution hors Québec qui a pour mandat de soutenir et d’enrichir la francophonie canadienne et internationale, sa taille, sa présence au centre de la capitale du pays, et sa longue histoire lui imposent une responsabilité particulière en la matière.
La francophonie au Canada fait face à un avenir démographique précaire et incertain, source d’inquiétude profonde, quoique ressentie inégalement selon les communautés. À cela, il faut rajouter la fragilisation de l’identité et du sentiment d’appartenance des francophones, dans un contexte d’érosion linguistique. C’est pourquoi il est fondamental pour l’Université d’Ottawa d’aménager des espaces d’échanges et de réflexion et des programmes destinés à l’épanouissement, en français, notamment dans secteurs porteurs d’identité́, dont la culture et les communications, l’éducation, la santé, l’immigration, la justice et le développement économique.
Depuis sa création en 1848, l’Université d’Ottawa n’a cessé d’accompagner la francophonie ontarienne dans ses luttes et revendications pour la reconnaissance du fait français en Ontario (en éducation, en santé et aussi dans l’enseignement supérieur).
Il importe aussi de ne pas perdre de vue les transformations récentes de la composition démographique de la francophonie ontarienne. D’une certaine manière, le global rencontre ici le local. Rappelons que le Canada est un pays de forte immigration. On y compte environ 250 000 nouveaux immigrants chaque année (et ce, depuis une bonne vingtaine d’années). De ceux-là, plus de 100 000 choisissent de vivre en Ontario, dont plusieurs francophones et francophiles. Depuis, la contribution de l’immigration internationale au renouvellement de la population francophone, l’Ontario a presque doublé son nombre d’immigrants francophones, constituant aujourd’hui près de 60 % du nombre total de nouveaux arrivants francophones au sein de la province. Maints enjeux et défis de la recherche sur la francophonie internationale sont ainsi transposés, selon une intensité variable, au sein des communautés francophones.
L’Université d’Ottawa regorge aussi d’un grand bassin d’expertise (ex. politiques linguistiques, traduction, droits linguistiques, éducation langagière, etc.) et accueille des chercheurs de réputation mondiale, dont les travaux sont très importants pour comprendre les questions de la francophonie en contexte minoritaire. On y retrouve par exemple les Chaires de recherche sur le monde francophone et les Chaires de recherche de l’Institut des langues officielles et du bilinguisme (ILOB) qui font ainsi des ponts entre des thématiques ontariennes, canadiennes et internationales et dont les travaux conjugués contribuent au rayonnement de la francophonie.
L’Université d’Ottawa doit être un véritable milieu de vie de la francophonie. Elle tient à incarner les francophonies d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Notre expertise a été récemment reconnue par le gouvernement fédéral canadien lorsqu’il a confié à l’Université d’Ottawa, l’administration du programme de contestation judiciaire. Ce programme fournit un appui financier aux Canadiens pour qu’ils puissent se défendre devant les tribunaux dans des causes relatives aux langues officielles et aux droits de la personne.
Voilà en quelques lignes un aperçu de la façon dont l’Université d’Ottawa travaille à promouvoir la vitalité de la francophonie au Canada et le rôle qu’elle joue plus particulièrement à l’endroit des minorités linguistiques et des francophones hors Québec.