Nathalie Ghaouche, étudiante à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l'Université Libanaise, jurée de la 10ème édition du Choix Goncourt de l’Orient a remporté, avec l'écriture d'une critique littéraire sur le roman lauréat « S’adapter » de Clara Dupont-Monod, la 2ème édition du concours de critiques littéraires lancé par l'Académie Goncourt avec le soutien de la Fondation du Crédit Mutuel et en partenariat avec l’AUF Moyen-Orient.
Le 3 novembre 2022, elle s'est retrouvée à Paris avec trois autres étudiants jurés des Choix Goncourt de Grèce, Royaume-uni et Inde. Elle a dîné Chez Drouant avec les Académiciens, puis le lendemain a assisté à la proclamation du Prix Goncourt et vécu les coulisses de l’évènement en direct.
Elle témoigne.
Bedford Hôtel
17, rue des Arcades
Paris, le 4/11/2022
C’est la fin d’un séjour. Là, à l’Hôtel Bedford, 17 rue des Arcades, mon cœur a ressenti une urgence suprême de s’exprimer. Alors, dans l’attente d’un taxi qui me mènera vers la maison de mes amis se situant dans l’avenue Barrilliet de La Garenne-Colombe, j’ai pris un bout de papier et une mine pour immortaliser mes souvenirs, mes sentiments et mes pensées. Bien que d’habitude je trouve toujours les mots, cette fois-ci, je n’arrive même pas à formuler les phrases, ni même à trouver les bonnes expressions. Je ne pourrai vraiment pas décrire ce magnifique séjour : les mots ne suffisent pas et ne suffiront jamais. Je suis submergée d’émotions inexplicables et inexprimables. Est-ce un film, un rêve, une fiction ? Peut-être… Mais là, maintenant, ce n’est qu’une splendide réalité ; une réalité qui restera à tout jamais gravée dans ma mémoire.
L’aventure a commencé, il y a longtemps, à l’époque où seule la littérature classique me faisait rêver. Petit à petit, mes pratiques réflexives ont commencé à changer au fur et à mesure que les réunions annuelles autour des livres du Goncourt s’enchainaient au cœur de l’Université Libanaise, faculté des Lettres et des Sciences Humaines, section II à Fanar.
J’adore ces réunions. Je les attends chaque année avec impatience. Les discussions se font de plus en plus animées. Les livres de l’extrême-contemporain m’intriguent, me déconcertent et me plongent dans l’actualité littéraire. Effectivement, c’est en participant au Choix Goncourt de l’Orient que j’ai commencé à rédiger des chroniques littéraires et à apprécier la démocratisation et de la démocratie culturelles. Une fois élue représentante de ma Faculté et de ma section en 2020, j’ai cru que c’était la fin de mon aventure avec le Goncourt. Toutefois, j’ai eu tort. Avec l’insistance de mes professeures, je me suis retrouvée encore une fois en train de lire un livre émouvant en 2021 : S’adapter de Clara Dupont-Monod, le livre qui m’a ouvert de nouvelles portes et l’occasion de participer au concours de la meilleure critique, lancé par l’Académie Goncourt et l’Agence Universitaire de la Francophonie au Moyen-Orient en partenariat avec La Fondation Crédit-Mutuel. En effet, ma critique a été élue comme étant la meilleure critique parmi d’autres rédigées par les étudiants de la zone. J’ai reçu alors une invitation de l’Académie Goncourt pour me rendre à Paris et assister à la remise du prestigieux Prix Goncourt. Malgré les obstacles qui se sont présentés et grâce à l’accompagnement de l’AUF, le rêve est devenu réalité.
Une fois montée dans l’airbus A330-200 de la MEA, regardant par la fenêtre ces terres européennes qui diffèrent des nôtres, j’étais subjuguée et totalement hypnotisée par ce splendide panorama. Au-dessus des Alpes, je n’arrivais pas encore à croire qu’un séjour inoubliable m’attendait. Dès la première nuit, Lola, qui m’avait chaleureusement accueillie au sein de sa belle petite famille, m’a emmenée voir la Tour Eiffel. L’immense tour éclairée et surplombant la ville a illuminé mon cœur de joie. Je l’ai admirée de loin, de proche, plus proche encore. Ce tableau surgissant de temps en temps dans ma mémoire m’envoute souvent d’émotions inintelligibles. Au fil des jours, je me vois en train de devenir une véritable citoyenne, prenant le métro, le tramway et le RER pour faire toutes mes tournées. Je commence à apprécier cette vie assez tumultueuse. D’autres tableaux, les uns plus beaux que les autres, s’accrochent sur le mur de ma mémoire : les jardins, les cathédrales, les ruelles, les musées, les ponts, les fontaines.
Cependant, l’expérience conviviale avec le Goncourt m’a submergée et me submerge encore de fortes émotions. Qui aurait cru qu’un jour je serai assise sur la table des Académiciens, à droite du président Didier Decoin et à gauche de Mme Françoise Chandernagor, à Drouant ? Qui aurait cru qu’un jour je dégusterai des plats aussi succulents que raffinés de la cuisine française ? Qui aurait cru qu’un jour j’assisterai à cette foule d’invités qui attendent avec impatience l’annonce faite par Mme Paule Constant devant toutes les caméras de tous les écrans de France et du monde ? Qui aurait cru qu’un jour je rencontrerai la lauréate du Prix Goncourt 2022, Brigitte Giraud, et que j’aurai la chance d’avoir plusieurs autographes de divers écrivains qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à ce que je fasse ce magnifique voyage ? Qui aurait cru qu’un jour je me lierai d’amitié avec un Indien, un Grec et un Britannique, une amitié naissante grâce à la littérature ?
Je n’aurai jamais cru qu’un jour mes petits succès universitaires me mèneront vers cette destination. Je ne me voyais vraiment pas dans ce pays qui a longtemps existé en moi et qui a contribué à forger mon identité d’une façon très particulière. Être à Paris était pour moi un songe merveilleux, un fantasme, un film qui défile dans mon imagination et qui ne pouvait pas voir le jour.
En écrivant ces mots, je commence à croire à l’accomplissement des rêves et à la réalisation des vœux. À cette idée, un fort émoi me coupe le souffle et je ressens une soudaine envie de pleurer. Pleurer de joie ou de tristesse ? Je ne sais pas exactement mais retourner au pays et quitter Paris me brise le cœur. À ce moment précis, la citation de la féministe De Beauvoir parcourt mon esprit mais se transforme en : « On ne naît pas parisien, mais on le devient ». Je sais qu’un jour, à Paris, je reviendrai.