En 2023, l’enseignant-chercheur sénégalais, Mar Mbodj, était lauréat de la dixième édition du prix Louis D’Hainaut. Décerné par l’Université de Mons, en Belgique et l’Agence Universitaire de la Francophonie, ce prix récompense chaque année la meilleure thèse de doctorat en technologie éducative, soutenue par un chercheur d’une université francophone (hors Europe Occidentale et Amérique du Nord).
Soutenue à l’Université de Laval (Québec), la thèse de Mar Mbodj porte sur l’« Apprentissage collaboratif : analyse du discours écrit d’étudiants sénégalais partant des principes du Knowledge Building et de scripts flexibles dans deux situations éducatives soutenues par des plateformes numériques distinctes ». La qualité de cette thèse lui avait déjà valu d’être repéré par le jury du prix qui l’avait nominé en 2022.
Quel a été votre parcours jusqu’à maintenant ?
J’ai soutenu ma thèse de doctorat en Technologie éducative à l’Université de Laval au Québec, en 2021. Je suis également titulaire d’un DESS et d’un Master de Recherche décrochés respectivement à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg et à l’Université de Rouen, en France.
Aujourd’hui, je suis enseignant-chercheur en Technologie éducative à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis au Sénégal, au sein de l’UFR des Sciences de l’Education, de la Formation et du Sport (UFR SEFS). Je coordonne la Formation à Distance de l’UFR.
Je suis également responsable des formations dans le projet Global Africa. Global Africa est un projet d’expression, de diffusion et de renforcement des recherches en sciences humaines et sociales sur le continent africain à travers une série d’activités. Il envisage notamment une offre de formations en ligne sur l’édition, la publication et l’écriture scientifiques ainsi que des MOOCS sur l’épistémologie, les méthodes et techniques des sciences sociales.
Pourquoi avez-vous candidaté au Prix Louis D’Hainaut ?
C’est un prix connu de tous les chercheurs et doctorants en science de l’éducation ! Depuis le début de ma thèse, j’avais l’intention de postuler. C’était une façon pour moi de mesurer les efforts accomplis durant plusieurs années, marquées par le travail et les sacrifices. C’est toujours motivant pour un chercheur de voir ses travaux diffusés et valorisés par un prix de cette dimension.
Quelques mots sur votre sujet de thèse ?
Ma thèse explore la collaboration dans les classes hybrides, combinant enseignement en ligne et en présentiel, particulièrement dans le contexte africain francophone. J’ai essayé de mesurer la qualité des interactions écrites entre étudiants pour favoriser un apprentissage collaboratif efficace et contribuer à la recherche sur des méthodes innovantes d’enseignement qui s’appuient notamment sur les technologies numériques.
J’ai ainsi adopté une approche fondée sur le « Design Based-Research », qui implique le développement de situations d’apprentissage itératives reposant sur la participation active des étudiants et d’un intervenant (enseignant). J’ai ciblé la manière dont les étudiants collaborent et construisent des connaissances ensemble via des interactions écrites dans deux environnements numériques distincts.
Vous parlez de Design-Based Research, de quoi s’agit-il ?
Le Design-Based Research (DBR) est une méthodologie issue des sciences de l’apprentissage. C’est une méthode d’investigation qui ouvre la voie à de meilleures façons de concevoir et de mettre en œuvre des environnements favorisant des apprentissages constructifs. Une des caractéristiques du DBR, c’est qu’il met aussi l’accent sur l’utilisation de la technologie. Ainsi la recherche, le design et l’ingénierie se nourrissent mutuellement, tout en impliquant le chercheur ou l’intervenant dans toutes les phases du processus d’enseignement-apprentissage.
Selon vous, comment vos travaux peuvent impacter les méthodes d’apprentissage au Sénégal ?
L’enseignement de la technologie éducative est un nouveau domaine de recherche et de pratiques dans les universités africaines francophones.
Les pratiques innovantes y sont au centre des préoccupations. J’ai émis l’hypothèse que les démarches d’apprentissage utilisant les outils numériques combinées à des approches de compréhension et de résolution de problèmes complexes pourraient permettre d’inscrire les jeunes générations d’étudiants au cœur des problématiques actuelles.
Dans la pratique, j’ai expérimenté la mise en œuvre de pratiques éducatives adossées aux approches en co-élaboration de connaissances (Knowledge Building), un concept qui émerge dans le monde de la recherche. À mon sens, cela peut ouvrir des perspectives intéressantes pour l’organisation pédagogique de l’enseignement, surtout dans nos contextes africains marqués par les sureffectifs. Il est possible, à travers ce modèle du Knowledge Building, d’envisager un apprentissage inclusif qui prendrait en charge l’ensemble d’un groupe d’apprenants dans une même dynamique de collaboration, d’amélioration collective des idées et de production de connaissances. J’ai constaté à l’issue de l’expérimentation que ces pratiques de classe innovantes ont une réelle portée pédagogique pouvant favoriser le développement de capacités et d’habiletés supérieures indispensables à l’édification d’une société africaine ouverte prenant en charge ses propres défis.
Qu’est-ce que le « Knowledge Building » ?
Pour faire court, le Knowledge Building (KB) est un mode avancé de collaboration. Les concepteurs de cette théorie, Scardamalia & Bereiter, sont des chercheurs de renom en sciences cognitives et en sciences de l’apprentissage. Ils ont inscrit le KB dans les théories constructivistes en misant aussi sur les interactions sociales comme fondement de l’apprentissage humain. Le KB s’inspire également des postures scientifiques issues des sciences expérimentales où l’on considère que le point de départ d’une connaissance nouvelle doit se situer à la frontière des dernières découvertes d’une communauté de chercheurs. Ainsi le chercheur est toujours dans une dynamique d’enrichissement ou d’affinement du connu. En somme, dans une démarche adossée à la théorie du KB, la construction d’un savoir nouveau n’est pas la somme des savoirs individuels mais la synthèse négociée des éléments de sens ou des idées proposées.
Quels sont vos projets personnels et professionnels à venir ?
Depuis quelques années, je suis un touche-à-tout. L’an dernier par exemple, j’ai travaillé avec un collègue canadien sur l’intégration de la robotique pour l’acquisition de compétences à l’école élémentaire. Actuellement, mes investigations sont orientées vers la mise à profit des intelligences artificielles dans le design des environnements numériques d’apprentissage, notamment en matière de tutorat intelligent ou le développement d’outils de travail inclusif.
Le prix Louis D’Hainaut
Depuis 2015, l’AUF et l’Université de Mons (Belgique) récompensent chaque année la meilleure thèse scientifique en technologie éducative, avec le Prix Louis D’Hainaut.
Ce prix est réservé à un docteur francophone dont la thèse a été soutenue il y a moins de 3 ans, au sein d’un établissement membre du réseau de l’AUF.
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