Professeur émérite de linguistique à l’Université de Namur dont il a dirigé la Faculté de Philosophie et Lettres pendant huit ans, Manfred PETERS a publié plus de cent livres et contributions scientifiques dans des langues aussi diverses que l’allemand, l’anglais, le français, le japonais, le luxembourgeois, le polonais, le portugais, le russe et le swahili. Depuis 2003, le Pr PETERS a œuvré, en qualité d’expert, sur de nombreux projets de l’Agence universitaire de la Francophonie.
1/ Tout au long de votre carrière, vous vous êtes fortement investi dans des travaux et missions en faveur de la paix, de la solidarité et du dialogue interculturel. Pouvez-vous nous parler de vos engagements récents dans la région de l’Afrique des Grands Lacs ?
Cet engagement se concrétise à plusieurs niveaux. Il y a d’abord le travail de base dans le domaine de l’alphabétisation conscientisante selon l’approche du pédagogue brésilien Paulo Freire que j’ai eu la chance de fréquenter. Le dernier projet intitulé « Alphabétisation et conscientisation au service des creuseurs du Sud-Kivu » vient de se terminer. Ces projets incluent une initiation à la gestion positive des conflits.
Le deuxième volet concerne la coopération universitaire. Ainsi, j’ai réalisé avec deux collègues, Marc Van Campenhoudt (ULB/Belgique) et Mame Thierno Cissé (Université Cheikh Anta Diop/Sénégal), un colloque réunissant plusieurs dizaines d’enseignants chercheurs du Burundi, de la République Démocratique du Congo et du Rwanda. Cette rencontre a abouti à la création de la revue Synergies Afrique des Grands Lacs qui paraît chaque année et dont le suis toujours membre du Comité scientifique. Par ailleurs, le gouvernement de la RDC vient de décider de créer une école doctorale à Bukavu à laquelle je serai associé.
Mes partenaires d’Afrique Centrale m’appellent « Mutu wa Amani », ce qui est la traduction littérale de mon prénom en swahili, à savoir l’homme de paix. J’en suis fier.
2/ En tant qu’expert et linguiste, que pensez-vous de l’avenir de la francophonie dans cette région de l’Afrique des Grands Lacs ?
Malgré un net recul au Rwanda, dû à des raisons politiques bien connues, le français est florissant dans l’Afrique des Grands Lacs. C’est la langue de l’enseignement supérieur, des publications scientifiques, des rencontres régionales, de la presse, des service-clubs, bref de la vie intellectuelle dans son ensemble.
Par ailleurs, la plupart des écrivains publient en français. Citons, à titre d’exemple, In Koli Jean Bofani (né en 1954 à Mbandaka/RDC) et son merveilleux roman Mathématiques congolaises, Alain Mabanckou (né en 1966 à Pointe Noire/RC) dont le roman Verre Cassé a été récompensé par l’Académie française, ou encore Antoine Kaburahe dont la communauté internationale a accueilli avec grand intéret le recueil de nouvelles Testament de l’espoir, publié à Bujumbura en 1997.
La plupart des intellectuels que je connais ont été formés grâce au soutien de l’AUF. Il me semble essentiel que cet effort soit maintenu, que ce soit sous forme de bourses de doctorat, d’aide aux manifestations scientifiques ou de création de campus numériques. La place prépondérante de la langue et de la culture française est à ce prix.
Nous remercions vivement Manfred PETERS d’avoir bien voulu répondre à ces questions.
Il nous laisse avec cet extrait du roman Athina de l’écrivain libanais Alexandre Najjar, publié chez Grasset, et dont la traduction en arabe a été supervisée par le Pr Manfred PETERS.
» Ce que je sais, c’est que le français m’envoûta : cette langue avait une saveur semblable à celle d’un fruit mûr dont le jus, sucré et parfumé, gicle dans la bouche à chaque fois qu’on y mord. Je découvris dans ses mots une force qui tend les phrases comme un arc, leur donne une consistance réelle, un relief, sans pour autant en altérer la pureté, un peu à la manière d’une source qui jaillit d’une roche, puissante et limpide à la fois. Le pope me donnait à lire des textes si beaux que les larmes m’en montaient aux yeux. Je découvris la violence et la tendresse, la gravité et la dérision, la rigueur et la désinvolture dans cette langue qui respire la liberté. »