Le français au Cambodge : entre héritage culturel et défis contemporains

Cheng Sokchenda5

Dans le cadre du projet de recherche intitulé « Langue française et trajectoire de vie : quel avenir (et devenir) pour les étudiants cambodgiens ? », soutenu par l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), l’Institut National de l’Éducation (INE) a mené une étude visant à analyser les impacts de l’enseignement du français au Cambodge sur les parcours académiques et professionnels des étudiants.

Depuis des décennies, le Cambodge entretient une relation forte avec la langue française, portée par son histoire et des coopérations éducatives durables. L’influence du français au Cambodge se manifeste à travers le patrimoine culturel, mais également grâce à des politiques éducatives qui cherchent à renforcer son apprentissage. Pourtant, les étudiants doivent souvent arbitrer entre leur intérêt pour la langue française et les perspectives professionnelles, jugées parfois limitées face à la domination croissante de l’anglais. 

L’enquête menée par l’INE a concerné 14 établissements scolaires et universitaires, mobilisant 68 répondants, notamment des étudiants, des enseignants et des directeurs d’école, à Phnom Penh ainsi que dans les provinces de Battambang, Siem Reap et Pursat. Les témoignages recueillis révèlent une forte motivation des apprenants, malgré des conditions parfois précaires. Toutefois, les débouchés restent encore limités, et les carrières francophones demeurent souvent difficiles à concrétiser. 

Les résultats montrent que les élèves choisissant le français dès le secondaire aspirent souvent à des carrières dans des domaines spécifiques comme la médecine, la pharmacie ou la diplomatie. Néanmoins, les opportunités offertes par la francophonie restent restreintes, tant au niveau local qu’international, limitant parfois les perspectives d’évolution professionnelle. 

Si la maîtrise du français permet d’accéder à des bourses d’études, des échanges universitaires ou des emplois dans certains secteurs (tourisme, ONG, enseignement), ces opportunités demeurent insuffisantes pour répondre à la demande croissante. De plus, de nombreux étudiants peinent à envisager une carrière dans un pays francophone, faute de passerelles accessibles et d’emplois adaptés. 

Cette réalité soulève la nécessité d’une révision en profondeur des politiques éducatives, en lien avec les besoins concrets de la jeunesse cambodgienne. 

Les enseignants soulignent des défis importants : manque de ressources pédagogiques, pénurie de professeurs, difficultés d’accès aux formations continues. Dans les provinces, ces obstacles sont encore plus marqués. Malgré tout, une motivation forte demeure, chez les enseignants comme chez les apprenants. 

Cette étude souligne également l’importance d’un soutien institutionnel fort, d’une modernisation des outils pédagogiques, et d’une valorisation du français comme langue d’opportunités. Pour assurer son avenir au Cambodge, il est crucial de renforcer les passerelles entre études, emploi et coopération internationale. 

Le résultat de la recherche a été amplement disséminé auprès du ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports (MEJS), des partenaires francophones concernés, et également, des enseignants de français, non seulement lors de l’Assemblée Générale de l’Association des Professeurs de Français du Cambodge (APFC) en novembre dernier regroupant plus de 200 enseignants de français provenant du secondaire et d’universités mais aussi dans le cadre des ateliers de formation de formateurs de l’INE organisés dans les provinces du Cambodge.  

« Mon souhait est que cette étude inspire les décideurs, les éducateurs et les étudiants à continuer d’œuvrer pour un rayonnement juste et éclairé de la langue française dans notre pays », déclare le directeur de l’INE, Dr. Sieng Sovanna, ajoutant que « J’ai toujours été convaincu que la langue française joue un rôle dans l’ouverture culturelle et professionnelle pour les étudiants de notre pays. ». 

L’avenir du français au Cambodge dépendra de la capacité des institutions à renforcer l’attractivité de cette langue, à travers des formations de qualité, des partenariats stratégiques et un soutien accru aux enseignants et étudiants. 

Comme le souligne le Dr. NY Ratha, directeur adjoint de l’INE : « Les résultats de cette recherche soulignent l’importance de la formation continue des enseignants, l’amélioration des ressources pédagogiques et la nécessité d’un soutien institutionnel constant. »

Un équilibre intelligent entre le français et l’anglais pourrait offrir aux jeunes Cambodgiens une trajectoire enrichissante, tournée à la fois vers la francophonie et le monde globalisé. 

Des enseignants engagés mais confrontés à des défis structurels 

Les témoignages d’enseignants comme Mlle Meng Hongsour (Mondol Kiri), M. Sokchenda Cheng (Kampong Thom) ou Mlle Dalyvann Chhiet (Battambang) illustrent les difficultés du terrain : manque de manuels, absence d’enseignants dans certaines classes, pénurie de ressources numériques, ou encore perception du français comme une langue difficile. 

Malgré cela, les enseignants restent convaincus de l’importance de valoriser la langue française, notamment en organisant des formations continues, des activités parascolaires et des échanges avec des pays francophones. 

Depuis son adhésion à l’AUF en 2008, l’INE s’est engagé dans la formation de futurs enseignants du secondaire. Son programme de Master d’Enseignement du Français (depuis 2019) s’inscrit dans cette volonté de professionnaliser l’enseignement du français au Cambodge. 

Malgré les obstacles auxquels elle fait face, la langue française continue d’attirer des étudiants soucieux de se distinguer dans un marché du travail de plus en plus compétitif. En maîtrisant le français, ces jeunes voient s’ouvrir à eux de nouvelles perspectives professionnelles et académiques. Pour accompagner cette dynamique, l’AUF lancera, dès l’année universitaire 2025-2026, le Programme International de Mobilité et d’Employabilité Fracophone (PIMEF) – un projet novateur visant à renforcer les compétences linguistiques des enseignants et des étudiants, et à consolider l’ancrage du français dans les parcours de formation. 

Pour consulter le rapport du projet de recherche, cliquez ici 

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Témoignages:  

Mlle MENG Hongsour, enseignante de français à Mondol Kiri, : « Je constate que mes élèves sont attentifs et assidus dans l’apprentissage du français. Il y a quelques élèves qui ne font pas très attention parce qu’ils pensent que le français est une langue difficile à apprendre ». Elle a fait savoir qu’il n’existe pas encore d’enseignement numérique moderne dans cette province éloignée. Afin d’améliorer l’enseignement du français au Royaume du Cambodge, elle a proposé au gouvernement de produire suffisamment de manuels de base pour permettre aux professeurs de français d’enseigner plus facilement cette matière aux élèves. 

« Je sais que dans certains lycées, le proviseur ne leur permet pas d’enseigner le français », a affirmé MENG Hongsour, tout en proposant aux proviseurs des écoles d’utiliser les professeurs de français à leurs propres spécialisations et compétences. 

Elle ajoute  : « Dans mon lycée, il manque de professeurs de français au niveau secondaire. J’ai enseigné à des élèves en 9ème, lorsqu’ils sont en 10ème, il n’y a pas d’enseignant de français. Alors, mes anciens élèves apprendront donc l’anglais. Ces facteurs font qu’il est impossible pour les élèves de poursuivre leurs études de français jusqu’en 12ème. » 

CHENG Sokchenda, enseignant de français à Kampong Thom : « À mon avis, je trouve que la situation de l’enseignement et de l’apprentissage du français dans mon lycée se passe plutôt bien mais elle présente encore certains défis, car il n’y a pas toujours assez de livres ou de matériel pour bien apprendre. Les professeurs ont aussi besoin de plus en plus de formations. ».

Pour le professeur Sokchenda, le français est encore présent, même si beaucoup d’élèves choisissent l’anglais. « Le nombre d’élèves de notre lycée est augmenté, et le français devient de plus en plus important pour répondre aux besoins des élèves qui souhaitent devenir médecins, avocats, ingénieurs, etc. C’est important de continuer à encourager les jeunes à apprendre le français et de recevoir plus de soutien », a-t-il ajouté. 

Afin d’améliorer l’enseignement du français au Cambodge, je souhaiterais proposer plusieurs choses au gouvernement d’organiser des formations régulières pour aider les enseignants à améliorer leur niveau de français et leurs méthodes de travail. 

« Les écoles ont besoin de livres, de ressources numériques, d’exercices et d’activités modernes pour rendre les cours plus vivants. Il faut créer plus de programmes d’échange entre les écoles cambodgiennes et les établissements francophones, ainsi que des concours, des clubs ou des activités en français », a ajouté Sokchenda, tout en proposant d’organiser des campagnes ou des événements pour montrer aux jeunes que le français est utile pour les études, le travail et les voyages, et d’offrir des bourses ou des stages pour les élèves qui réussissent bien en français afin de les encourager à continuer dans la voie de la Francophonie. 

Mlle Dalyvann Chhiet, enseignante de français au lycée Preah Monivong, Battambang : « Personnellement, je trouve que les meilleurs élèves ont envie de continuer leurs études du et en français jusqu’au lycée pour l’instant parce qu’ils sont convaincus que le français est intéressant. Par contre, les moins forts ne veulent pas l’apprendre à cause de la difficulté de compréhension, notamment la grammaire, plus compliquée par rapport à notre langue maternelle et à l’anglais. ” 

 

Date de publication : 11/04/2025

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