Dans un monde où les barrières linguistiques freinent encore l’inclusion sociale, l’Université d’Ottawa (Canada), en partenariat avec l’Université Paris-Cité (France) et l’Université Nationale de Tres de Febrero (Argentine), a donné naissance à un pôle international unique en son genre.
Un projet, trois continents, une vision commune
Intitulé « Développement d’un pôle international de recherche et de formation en sociolinguistique et en politique linguistique », ce projet a été soutenu par l’AUF dans le cadre de son programme « Projets interuniversitaires pour la solidarité dans les Amériques » (PRISA). Axé sur la sociolinguistique et les politiques linguistiques orientées vers l’action publique, le projet a réuni trois établissements aux expertises complémentaires : l’Université d’Ottawa, spécialiste entre autres du bilinguisme institutionnel, de l’internationalisation et des questions d’immigration, l’Université Paris-Cité, engagée à l’international dans le dialogue entre science et et sociétés notamment autour des questions de transformations sociales et inégalités en lien avec la globalisation, l’immigration et la santé , et l’Université Nationale de Tres de Febrero (UNTREF), en Argentine, reconnue entre autres pour sa recherche et action en internationalisation et pour la valorisation des langues autochtones. Leurs enjeux : la valorisation des langues, la justice sociale et l’inclusion.
« En effet, alors que la gestion efficace des questions linguistiques est transversale à l‘ensemble de politiques sociales autant en Argentine qu’au Canada et en France, ces enjeux à caractère global sont traités essentiellement localement et des espaces de recherche et d’action publique internationaux sont quasi inexistants, tout particulièrement dans la francophonie. L’objectif atteint par ce projet était donc de permettre des échanges plus soutenus et pérennes, en présentiel et en virtuel, entre les chercheurs des trois universités partenaires, et leurs collaborateurs du secteur public et associatif. », a précisé Professeure Monika Jezak, responsable scientifique du projet, Université d’Otawa
Des résultats concrets malgré la pandémie
Malgré les défis imposés par la pandémie, les universités partenaires ont su transformer les contraintes en opportunités. Les activités, menées en mode hybride, ont permis une diffusion élargie des connaissances via la plateforme Pôle international langues et action publique (PILAP) qui sert à centraliser les ressources, partager les enregistrements de conférences, et promouvoir les travaux des chercheurs et étudiants impliqués dans le projet. Elle facilite l’accès des décideurs, chercheurs, et éducateurs à des contenus liés aux enjeux sociolinguistiques et aux politiques linguistiques orientées vers l’action publique.
« Certes, coordonner un projet impliquant trois continents et autant de cultures académiques et administratives différentes, le tout dans un contexte de pandémie, n’a pas toujours été simple. Plusieurs activités internationales, initialement prévues en présentiel, ont dû se tenir en virtuel. De même, certains terrains de recherche dans les institutions de la société civile sont restés inaccessibles, et certains partenaires institutionnels, fortement impactés par la crise sanitaire, n’ont pas pu offrir la disponibilité espérée par les participants. », a partagé la responsable scientifique du projet
Toutefois, malgré ces défis, le projet a permis d’organiser deux missions de recherche à Paris et à Ottawa, trois stages étudiants à Ottawa et à Paris, trois symposiums internationaux bimodaux à Ottawa et à Buenos Aires, une quinzaine de conférences internationales diffusées sur la plateforme PILAP, ainsi que de nombreuses interventions dans les salles de classe des trois universités et auprès des organismes publics et ceux de la société civile. La perspective internationale sur les enjeux d’action publique par les langues a été rendue bien visible en Argentine, en France et au Canada. À titre d’exemple, la conférence de la Professeure Elisa Loncon sur les droits linguistiques des peuples Mapuche a enregistré plus de 26 000 visionnements, tandis que celle de Jonathan Rosa sur la raciolinguistique en a comptabilisé près de 11 000. Dans le même esprit, les interlocuteurs du projet incluent, entre autres, le Directeur des langues autochtones du Vice-ministère de l’Interculturalité (Ministère de la Culture, Pérou) et le Directeur exécutif du Centre d’excellence en langues officielles (Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada).
Former pour agir, agir pour inclure
Les étudiants, au cœur de cette initiative, ont participé à des stages internationaux et des ateliers interactifs qui ont élargi leurs perspectives et leurs réseaux professionnels.
Les stages offerts dans le cadre du projet ont permis aux étudiants de s’immerger dans des contextes sociolinguistiques variés, combinant théorie et pratique. Par exemple, Valérie Clément, étudiante à la maîtrise de l’Université d’Ottawa, a découvert à Brest le rôle du breton dans les espaces publics, une langue encore peu utilisée au quotidien mais porteuse d’une forte valeur symbolique. À Paris, elle a collaboré avec l’organisme COOFA (Coopérer pour une formation accessible) sur un programme d’intégration pour les nouveaux arrivants, enrichissant les approches en francisation par une comparaison des pratiques entre la France et le Québec. Ces expériences ont renforcé les compétences interculturelles et professionnelles des jeunes, les préparant à devenir des acteurs clés de l’inclusion linguistique.
Un impact durable pour les générations futures
Ces activités ont également favorisé la production collaborative de ressources académiques et professionnelles, renforçant le dialogue entre les universités et les secteurs public et associatif dans les trois pays concernés.
En Argentine, par exemple, les résultats du projet ont inspiré une nouvelle étude d’impact sur les politiques linguistiques locales, soutenue par l’AUF et dont l’Université d’Ottawa est partenaire. Cette recherche aborde l’enjeu d’inclusion linguistique des boursiers argentins destinés à étudier à l’international. Au Canada, l’Université d’Ottawa continue d’explorer les dynamiques migratoires en collaboration avec ses partenaires internationaux. Dans cet esprit, les chercheurs des trois universités, accompagnés de leurs collaborateurs institutionnels et de leurs partenaires sur le terrain se sont retrouvés en mai 2024 au 91e congrès de l’ACFAS à Ottawa, pour continuer leurs travaux sur les dynamiques migratoires et celles d’internationalisation dans l’espace francophone. En France, les expériences menées ont encouragé la réflexion critique sur la recherche participative au sein de recherches et réseaux internationaux.
Au-delà de ces résultats immédiats, le projet PRISA a donc jeté les bases d’une coopération interuniversitaire renforcée et durable. Il a également confirmé l’importance d’une approche intersectorielle, notamment en matière de développement durable et d’égalité de genre. Les étudiantes, particulièrement représentées dans le secteur de l’enseignement des langues, ont bénéficié d’un accès élargi aux réseaux professionnels, renforçant ainsi leurs chances d’intégration sur le marché du travail.
Plus qu’un projet académique, PRISA a contribué à la lutte contre les inégalités sociales, en fournissant des outils concrets pour les politiques linguistiques. En reliant l’Amérique latine, l’Europe et le Canada, ce projet est une pierre fondatrice pour des initiatives futures. Un modèle inspirant pour les projets de recherche internationaux à venir.