Le Choix Goncourt de la Belgique à l’Université d’Anvers

La troisième édition du Choix Goncourt de la Belgique a été lancée le 5 octobre 2018. Une centaine d'étudiants issus de 10 universités belges francophones et néerlandophones ont jusqu'au au 11 décembre pour lire la sélection de 15 romans du Prix Goncourt et débattre, avant d’élire collégialement leur lauréat à l’occasion d’un jury de délibération nationale.

A cette occasion, nous avons interrogé Kathleen GYSSELS, professeure de Littératures francophones postcoloniales à l’Université d’Anvers.

L’Université d’Anvers et ses étudiants participent depuis 3 ans à l’édition du Choix Goncourt de la Belgique. A l’occasion de cette 3ème édition, pourriez-vous nous expliquer de quelle façon vous organisez ce projet avec vos étudiants ?

Sous la prestigieuse égide de Pierre Assouline (dont j’ai suivi la trajectoire et surtout les nombreux comptes rendus de romans, notamment dans le domaine de la diaspora juive), le Goncourt des Belges, ou le Choix des Belges est à ma connaissance une des meilleures initiatives pour combler le fossé entre, d’une part, l’étudiant et le professeur de littérature (on verra pourquoi, ci-dessous) ; le fossé entre étudiant (critique débutant, journaliste en herbe, apprenti prof de lettre) et l’auteur. J’applaudis l’enthousiasme des quatre partenaires dans ce projet qui, à présent, se laisse évaluer en dépit de sa durée encore relativement « réduite ».

Quant à la mise en scène (!) de nos sessions, il faut insister sur une certaine inventivité. A l’Université d’Anvers, nous avons pensé que les réflexions viendraient plus spontanément autour d’un verre, tout en copiant un peu (!) l’ambiance décontractée de La Grande Librairie.

En effet, il faut une dose d’originalité pour que le professeur fasse parler de romans d’autant plus souvent lu de manière fragmentaire et discontinue : le Café Goncourt nous semblait l’endroit idéal pour parler en convivialité en dehors des cours et loin des amphithéâtres des romans qu’on avoue, parfois en rougissant, avoir lu diagonalement, partialement, pas du tout et ainsi de suite ! Installés confortablement sur les canapés rouges de l’Agora (UA), profs (nous sommes d’habitude deux) entament la sélection en fonction des critères divers.

 

Quel est l’intérêt de vos étudiants à participer au Choix Goncourt de la Belgique ?

La première année, les étudiants se sont donc réunis autour d’une pile de romans. Il me semble incontournable que le professeur guide quelque peu le « tri » en fonction de ses propres domaines de recherche et d’enseignement.

Je m’explique : constatant que certaines thématiques dominent (d’année en année), j’ai sans doute particulièrement appuyé la parution de romans relatifs au « global Sud » :  en 2016, Leïla Slimani venait renforcer les rangs d’une littérature d’origine maghrébine déjà très établie en France (avec dans le jury l’auteur marocain Tahar Ben Jelloun). Elle devint la lauréate du Goncourt, avec Chanson douce, roman mis ensuite au programme au Ba2. Le projet nous guide à impliquer certains romans dans nos cours de maîtrise de la langue. Grâce au “concours Goncourt”, le curriculum se renouvelle constamment. Il est clair que le mérite d’une lauréate comme Slimani est qu’on suive désormais de près sa carrière et ses colonnes (sur l’islam et la sexualité, par exemple).

En 2017, Faye aborda le génocide rwandais dans Petit pays pendant que l’année d’après, en 2017, plusieurs romans avaient trait aux traces de la Seconde Guerre mondiale dans l’imaginaire collectif et dans la société française. Le roman grinçant d’Éric Vuillard nous plongea dans les coulisses de l’Allemagne nazie pendant que Olivier Guez raconta l’histoire vraie de la fuite en Amérique du Sud de Josef Mengele. Toujours en 2017, une seconde thématique qui se dégageait et sur laquelle j’ai appuyé fortement parce qu’elle relève de mes cours en francophonie et le monde post/colonial était la guerre d’Algérie et ses séquelles dans la société française (L’art de perdre, d’Alice Zeniter, Nos richesses, de Kaouter Adimi).

Enfin, un troisième thème fort (et presque retenu comme Prix Goncourt) était l’esclavage transatlantique ou “intérieur”, avec le roman de Véronique Olmi. L’auteure de Bakhita a ensuite été invitée par ailleurs par l’Alliance française d’Anvers.

Une autre remarque concerne les sensibilités estudiantines : les étudiants ont eux aussi leurs “genres” préférés. Le polar, par exemple, et qu’ils ont parfois quelque réserve à découvrir les gros volumes. Par conséquent, ils éliminent spontanément les grands pavés (quoique le choix de 2017, L’art de perdre, compte plus de 500 pages). L’autofiction, le roman à forte dimension historique, semblent moins sollicités.

Autre point proprement féminin (mes étudiantes sont toutes de jeunes femmes, excepté d’un seul garçon : les drames de couple, la famille disloquée, les familles recomposées, un point qui a interpellé plusieurs commentateurs et commentatrices.

Pourriez-vous nous parler d’un étudiant en particulier ?

Vous me demandez de parler d’un étudiant en particulier, et je suggère de parler de Maxime De Lodder (sur la photo jointe), parce qu’il a rédigé son mémoire de maîtrise sous ma direction sur Jean Genet et Cocteau (après avoir suivi mon cours: ‘Théorie et genre/s; identités genrées en littérature française et francophone : de Balzac à Tahar Ben Jelloun’): la question du queer, l’invisibilité des individus LBGT dans la littérature “canonique” est un quatrième domaine négligé assez négligé dans le lot… Enchanté par la conférencière de l’an dernier, Virginie Despentes, dont le topo a comblé ce “manque”, l’étudiant en question a gardé un très bon souvenir de cet échange avec le public et de la discussion des romans présélectionnés.

Mon étonnement : qu’il n’y ait pas les grands écrivains afropéens (Leonora Miano ou encore maghrébins comme Boualem Sansal) ? .

D’année en année, certains sujets reviennent donc, quoique la sélection de 2018 me paraisse bien disparate, hétéroclite. Pour finir, je ne vous cacherais pas mes favoris (trois titres) pour le Goncourt 2018. Après avoir feuilleté PAGE n° 191 : rentrée littéraire 2018) : Tobie Nathan, L’Évangile selon Youri ; Daniel Picouly, parce que je suis de près la production « antillaise » et que le thème de l’éruption du volcan à la Martinique en 1902 recoupe l’écocritique et la littérature de « catastrophe » ; enfin, David Diop, Frère d’âme, sur les tirailleurs sénégalais sous la Seconde Guerre.

 

 

*Une organisation de l’Ambassade de France en Belgique, l’Agence universitaire de la Francophonie en Europe de l’Ouest et l’Alliance Française de Bruxelles-Europe, en collaboration avec Passa Porta. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date de publication : 22/10/2018

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