Le projet « Renforcement de l’accès au droit de populations vulnérables d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient par la création d’un ensemble de cliniques juridiques universitaires » lancé par l'AUF en mars 2022 sur financement du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (France) vise à lier les universités partenaires de cinq pays arabes (Égypte, Irak, Jordanie, Liban et Palestine) avec des universités françaises qui ont un historique de mise en place de cliniques juridiques pour faciliter les échanges d’expériences et favoriser l’accès aux droits des populations défavorisées, par l’entremise des cliniques juridiques universitaires à vocation sociale.
Ahmed Khalifa, maître de conférences à l’Université Ain Shams en Égypte, collabore avec l’AUF dans la mise en œuvre de ce projet.
Nous l'avons rencontré.
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai fait mon master (LLM) en droit international et droits de l’Homme à Temple University à Philadelphie aux États-Unis, et mon doctorat en droit pénal international à l’Université de Poitiers. Je travaille en tant que consultant avec plusieurs organisations internationales y compris le Comité international de la Croix Rouge, et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime. Depuis 2014, j’occupe le poste de secrétaire général adjoint de l’Association internationale de droit pénal.
Je m’intéresse particulièrement au développement de l’éducation juridique dans les pays arabes. Dans ce cadre, je suis coordinateur de plusieurs concours de procès fictif dans la région du Moyen-Orient : le concours de l’Université d’Oxford en Droit des médias (en anglais) ; le concours du Comité international de la Croix Rouge en droit international humanitaire (en arabe) ; ainsi que le premier concours de procès fictif en français pour les facultés de droit au Moyen-Orient organisé par l’AUF en 2016.
J’ai commencé à collaborer avec l’AUF en 2014 lors de l’organisation du séminaire annuel de l’École doctorale de Droit du Moyen-Orient (EDDMO) à l’Université Ain Shams au Caire. Tout de suite après, on a adopté l’idée d’organiser un concours de procès fictif dont j’étais le coordinateur. Cette idée a eu des retours très positifs de la part des étudiants et des enseignants, et nous souhaitons la rendre récurrente avec l’AUF. Actuellement, j’ai le plaisir de contribuer à faire réussir le projet de réseaux des cliniques juridiques dans cinq pays arabes.
Pensez-vous que l’accès aux droits constitue une problématique dans notre région ? Qu’en est-il de l’Égypte ?
L’accès aux droits comporte deux volets : le premier est la connaissance de ses droits, c’est-à-dire que l’individu soit au courant des droits dont il est titulaire, et le deuxième est la capacité d’accéder à la justice pour défendre ses droits.
Les deux aspects constituent un problème dans les pays arabes, y compris l’Égypte.
D’un côté, la culture générale d’un citoyen ordinaire dans nos pays n’est pas sensible aux questions des droits. Souvent, les individus n’ont pas connaissance qu’ils ont des droits dans certains domaines. D’autre part, il y a plusieurs raisons économiques et sociales qui rendent l’accès à la justice parfois difficile à une bonne partie de la population. L’État s’efforce de combler ces lacunes par l’établissement de plusieurs initiatives visant à faciliter l’accès à la justice, notamment les populations vulnérables, mais le chemin est encore long.
L’idée même de la clinique juridique, en tant qu’initiative d’enseigner le Droit à travers des activités qui profitent à la société, donne des éléments de réponses qui traitent les deux volets du problème. D’un côté, la clinique juridique présente un modèle de travail qui s’appelle « Street Law Clinic » ou le travail des étudiants consiste à faire des campagnes de sensibilisation sur les droits des citoyens concernant un sujet particulier d’une manière systématique et cohérente. D’autre part, le travail dans le modèle de base de fonctionnement de la clinique consiste à proposer des services juridiques pour ceux qui en ont besoin sans en avoir les moyens. En travaillant dans l’objectif d’aider à l’établissement et au fonctionnement de plus de vingt cliniques juridiques dans cinq pays arabes, le projet mené par l’AUF contribue à améliorer la situation de l’accès à la justice dans la région.
Parlez-nous de l’expérience de l’Université Ain Shams dans le domaine des cliniques juridiques universitaires ? En quoi les formations dans le cadre du projet vous sont utiles ?
La clinique juridique a commencé à l’Université Ain Shams en 2015. Nous avons commencé par une clinique de sensibilisation dans l’entourage universitaire pour les femmes victimes de violence. Le projet était mis en place en collaboration avec l’« American Bar Association : Rule of Law Initiative ». La clinique visait à informer les victimes potentielles de violence sur la question de savoir comment défendre ses droits, et bien évidemment à aider les victimes à connaitre les démarches disponibles pour revendiquer leurs droits. Malheureusement, la clinique a ralenti ses activités pour un moment en raison de manque de ressources, et ensuite elle s’est arrêtée avec la crise sanitaire du COVID 19.
Le lancement du projet de l’AUF a été l’opportunité de la renaissance de notre clinique juridique dans un contexte régional qui permettra de profiter de l’expérience des autres cliniques dans la région, ainsi que de celle des cliniques partenaires en France. Les formations suivies à Beyrouth en décembre 2022, en France en mars 2023, et enfin au Caire en mai 2023, ont présenté une opportunité sans précédent pour les collègues du corps professoral à la faculté de Droit d’Ain Shams, pour obtenir une formation intensive et assez complète au cours de six mois sur les questions pertinentes pour les cliniques juridiques, de A à Z.
Qu’en est-il du dernier séminaire coorganisé par l’AUF et l’Université Ain Shams au Caire dans le cadre du projet ? Qu’a-t-il apporté de nouveau ?
Le séminaire coorganisé par l’AUF et l’Université Ain Shams au Caire est la troisième rencontre en présentiel des représentants des universités partenaires et les responsables des cliniques juridiques faisant partie du projet.
Les deux premières rencontres avaient pour but d’explorer en détails l’expérience française de la clinique juridique, ses points forts et ses défis. L’échange avec nos collègues français dans plusieurs universités était à la fois nécessaire et profitable pour appréhender les contextes différents dans lesquels les cliniques peuvent fonctionner.
Le troisième séminaire, organisé en mai 2023 à Ain Shams, a eu pour objectif de contextualiser les connaissances requises durant les deux rencontres précédentes. Les responsables des cliniques juridiques participant ont discuté des procédures à adopter pour mettre en place les cliniques juridiques, et garantir leur bon fonctionnement. Les deux journées de travail ont été précédées par une conférence sur les problèmes qu’affronte l’enseignement du droit dans la région en général, qui a suscité un débat très fructueux entre les responsables de l’éducation juridique dans les pays concernés.
Un dernier mot ?
Il faut dire que le projet de « Renforcement de l’accès au droit de populations vulnérables d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient par la création d’un ensemble de cliniques juridiques universitaires », n’est pas seulement un projet qui a pour but de favoriser l’accès à la justice pour des populations vulnérables, mais surtout un véhicule essentiel pour le développement de l’éducation juridique en général, notamment en tant que pont entre la théorie et la pratique. Le renforcement de l’éducation juridique a certainement un effet positif sur l’État de droit dans n’importe quel pays, un aspect qui a, sans doute, des conséquences dans l’intérêt du développement économique et humain dans tout pays.
A noter aussi que le projet de l’AUF intéresse le monde académique des cliniques juridiques ; une observation que j’ai pu relever quand j’ai eu la chance de parler de ce projet lors d’une conférence à La Haye le 25 mai sur l’éducation au Droit international humanitaire.