Dans un Irak qui se reconstruit après des années de violence, l'Enseignement supérieur et le potentiel éducatif sont des vecteurs essentiels de relèvement. A Mossoul, après des années de meurtrissures, l'Université qui porte le nom de cette grande ville du nord, porte aussi un message de fidélité envers ses rapports culturels avec la Francophonie, présente dans cette ville depuis le XIIème siècle. Rencontre avec Mohammed Zuhair Zaidan directeur adjoint du département de Français à la Faculté des Lettres de l'Université de Mossoul, membre associé de l'AUF depuis 11 ans, et responsable du Carré Francophone au sein de l'Université.
- Comment voyez-vous l’apprentissage et l’utilisation du français parmi les jeunes Irakiens ? Quel est l’avenir de la francophonie dans votre pays?
Depuis les années soixante-dix, et pour des raisons politiques et économiques, la présence de la langue française en Irak s’est manifestée par son enseignement dans certaines universités ainsi que des écoles et des lycées sélectionnés. Mais l’épanouissement de l’enseignement/apprentissage de cette langue continue d’être confronté à plusieurs obstacles, surtout celui de la prédominance de l’anglais dans l’enseignement primaire et universitaire. Cette langue s’impose comme un instrument de sélection scolaire, sociale et professionnelle. D’ailleurs, le manque des écoles et lycées enseignant le français contribue à ce recul de la langue française en Irak par rapport à l’anglais.
Pourtant, un nombre croissant de jeunes et de leurs familles trouvent dans l’apprentissage de cette langue des motifs économiques ou culturels qui les encouragent à la maitriser. Le recours à la technologie de pointe, particulièrement aux multimédias, a aussi participé à rendre l’apprentissage de cette langue plus facile par rapport aux anciennes méthodes utilisées dans les classes d’enseignement de français. Cela a comblé le manque de contact direct avec des francophones pour apprendre cette langue rarement utilisée dans notre pays. En plus, l’exploitation bibliographique en français se révèle également auprès des chercheurs dans les universités et les centres de recherche qui espèrent investir davantage dans ce domaine.
Pour promouvoir l’apprentissage du français en Irak et plus particulièrement à Ninive, l’Université de Mossoul met en œuvre une série de projets pédagogiques visant à développer son enseignement à grande envergure. Elle encourage les études supérieures de plusieurs spécialités scientifiques et humaines en langue française, à côté de la langue arabe, notamment les sciences littéraires et sociales, le droit, la gestion, l’économie, la pharmacologie, les sciences médicales et l’ingénierie. Elle élargit les domaines de coopération avec les universités utilisant le français partiellement ou entièrement dans leurs études.
- En tant que coordinateur du projet de transformation numérique opéré par l’AUF à l’Université Mossoul, pensez-vous que la remise à niveau de l’Enseignement supérieur irakien passe nécessairement par le numérique éducatif ?
Comme nous le savons, la présence des outils numériques s’impose dans la vie quotidienne des individus partout dans le monde, et aux plus petits détails de leurs échanges. Les mesures de confinement total imposées dans le pays à partir du mois de mars 2020 ont montré le besoin éminent de trouver des alternatives aux modalités traditionnelles de l’enseignement/apprentissage par les institutions éducatives et académiques. Ainsi, dès la première semaine de la suspension des cours dans ces établissements, on a commencé à s’orienter vers la mise en place de classes numériques via leurs sites officiels et à travers les réseaux sociaux. L’Université de Mossoul a été pionnière dans les pratiques de l’enseignement numérique avant l’épidémie et les circonstances qui en ont résulté. Un plan de mise en œuvre de l’enseignement numérique a déjà été mise en œuvre pendant 3 ans (2019-2021) en coopération avec l’Ambassade de France en Irak et l’Agence Universitaire de la Francophonie au Moyen-Orient. Ainsi, dès que le confinement a été imposé dans le pays, plus de trois mille classes en ligne ont été créées sur différentes plateformes pédagogiques (Moodle, Google Classroom, Zoom, Edmodo) pour assurer la continuité de l’enseignement à distance. L’expérience de l’Université de Mossoul s’est étendue à de nombreuses universités irakiennes grâce à un contact direct avec ces universités à travers des plateformes numériques et des médias en vue de coordonner le travail et d’échanger les points de vue à cet égard. Ce type de travail collectif s’est évidemment répandu pour comprendre tous les établissements scolaires dans le pays, et nous remarquons actuellement une utilisation à grande échelle de ces outils numériques dans les différents services de l’État irakien. Pour cette raison, nous estimons que le numérique éducatif continuera à représenter l’exemple à suivre en Irak pour que les activités nécessaires de la vie quotidienne soient maintenues et qu’elles se mettent en place dans les meilleures conditions possibles.
- Comment voyez-vous le rôle de l’AUF : un fournisseur d’expertise ? Un réseau ? Un accompagnateur ? Une agence de soutien financier ?
Depuis son adhésion en tant que membre associé à l’Agence Universitaire de la Francophonie en 2010 et même avant cette date, l’Université de Mossoul a largement profité de différentes formes de soutien académique et administratif proposées par l’AUF. Les services rendus par cette dernière à l’Université de Mossoul reflètent en effet le rôle important que peuvent jouer les appels à candidatures de l’AUF au développement des compétences requises par ses instituions membres.
En tant que fournisseur d’expertise, l’AUF a appuyé les efforts de départements de français aux universités irakiennes visant à améliorer la qualité d’enseignement et à apporter des réformes quant aux curricula mises en place.
Le réseau de l’AUF a d’ailleurs consolidé les rapports de coopération entre les universités et les centres de recherche membres dans la région du Moyen-Orient. La preuve en est que les activités scientifiques et culturelles interuniversitaires ont largement augmenté entre ces établissements académiques.
Pour revenir au rapport entre l’Université de Mossoul et l’AUF, nous devons signaler que la Direction régionale du Moyen-Orient a considérablement aidé cette université dans ses efforts de reconstruction après la destruction de 80 % de son campus lors de la libération de la ville de Mossoul en 2017. Le projet de transformation numérique de notre université en coopération avec le SCAC en Irak et l’AUF en fait partie.
L’AUF continue d’ailleurs à jouer son rôle important d’agence de soutien financier. Assumant la responsabilité de membre de la CRE pendant plusieurs années, j’ai remarqué le grand nombre de projets scientifiques réalisés dans la région grâce à ce type d’appui, sans lequel ces projets n’auraient probablement pas vu le jour.
- Quels sont selon vous les 3 grands défis de l’enseignement supérieur actuellement en Irak ?
L’enseignement supérieur en Irak a été confronté à de grands défis depuis sa création au début de vingtième siècle, car les événements politiques, sociaux et économiques dans ce pays ont toujours eu un certain impact sur ce secteur. Les circonstances d’instabilité d’une part et de la mondialisation d’autre part ont évidemment conduit à mener des réformes dans l’enseignement supérieur irakien.
A mon avis, l’introduction de certaines idées fausses dans les programmes d’assurance qualité est l’un des principaux obstacles à l’enseignement supérieur irakien à court terme. Pour certains, l’assurance qualité n’est qu’un simple remplissage de formulaires en chiffres et en pourcentages. La gravité de cette situation tient au fait que la mise en œuvre incorrecte d’un programme d’assurance qualité est plus dangereuse que le fait de ne pas en mettre en œuvre du tout.
La carence dans le domaine de la formation continue est un autre défi de l’enseignement supérieur en Irak. La raison est que la coopération est généralement faible entre les établissements académiques et le marché du travail.
Il y a un autre défi, représenté par l’émigration des compétences scientifiques à l’étranger, en plus de l’incapacité des universités à embaucher de nouveaux titulaires de doctorat.
On doit enfin ajouter les difficultés de maîtrise des systèmes d’e-learning qui se sont imposés ces deux dernières années suite aux circonstances de la pandémie Covid 19.