Les universités actrices majeures de l’espace francophone

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Marielle Payaud est docteur en sciences de gestion et Professeur des universités. Elle est directrice de l’Institut International pour la Francophonie (2IF) de l’université Lyon 3 (France) , secrétaire générale du Réseau des Chaires Senghor de la Francophonie et rédactrice en chef de la Revue Internationale des Francophonies. Nous l'avons rencontrée.

Vous êtes à la tête de l’un des instituts les plus prestigieux de la Francophonie et vous mettez aujourd’hui votre expérience scientifique et professionnelle au service de la coopération internationale. Quels sont, selon vous, les atouts de la Francophonie aujourd’hui, notamment dans sa composante universitaire ? Et comment l’institut que vous dirigez y participe-t-il ?

La diversité est un atout qu’il faut concevoir comme une richesse et non un handicap, une richesse dont il faut profiter et qu’il faut exploiter. Les universités francophones sont le moyen de véhiculer, de diffuser et de transmettre les valeurs de la Francophonie. Elles constituent des viviers d’enseignants-chercheurs, de doctorants où l’échange et la coopération doivent être encouragés pour un partage d’expériences académique, un partage scientifique. L’Institut International pour la Francophonie a, par exemple, modestement lancé un dispositif d’accueil de doctorants issus de l’espace francophone. Les universités ou composants de celles-ci, comme 2IF, doivent à la fois former et préparer les étudiants aux problématiques générales et locales, encourager les enseignants-chercheurs de l’espace francophone à travailler ensemble sur les défis de la francophonie et à produire de la connaissance. Ce que nous essayons de faire, citons notamment : la conception de CLOM sur l’objet de la francophonie avec des intervenants des pays francophones, ou les masters délocalisés à Hanoï (ADV) et à Yaoundé (Yaoundé 2) au sein desquels de nombreux professeurs invités issus notamment du Réseau des Chaires Senghor interviennent, ou le Dictionnaire des Francophones (DDF) qui témoignera que la langue française est belle et bien vivante aux quatre coins de la planète francophone.

Quels seraient les défis les plus importants de la Francophonie aujourd’hui ?

Difficile de faire une liste exhaustive tant les défis importants sont nombreux, difficilement hiérarchisables et concernent des univers interdépendants. Au-delà des défis, je formulerai des problématiques ou des questionnements que pourraient se saisir francophones et « Francophonie ». Il est d’ailleurs toujours plus facile de poser les questions que d’y répondre… j’en conviens…

Que serait la Francophonie sans les francophones ? Dans cette « Francophonie » plurielle, n’oublions pas que les francophones sont pluriels et donc des attentes et des besoins pluriels : Les attentes des francophones du Nord eu égard à la Francophonie sont-elles les mêmes que celles des francophones du Sud ? Nous pouvons aisément imaginer une réponse négative, mais alors que représente la Francophonie pour les francophones du Nord et ceux du Sud ? Et qu’en attendent-ils ? La « Francophonie » peut-elle faire fi de ces questions ? Non, ou alors on fera de la Francophonie « hors sol », dénuée de sens pour les citoyens francophones.

L’anniversaire des 50 ans constitue notamment le moment de réaliser un bilan institutionnel et de dresser en même temps des perspectives. Les organisations sont aujourd’hui nombreuses, toutes ont des missions et objectifs propres liés à la F/francophonie. Ne serait-il pas intéressant de les coordonner pour définir un projet commun où chacune d’entre elle aurait un rôle spécifique ?

Concernant la francophonie économique, celle-ci souffre, me semble-t-il, d’une conceptualisation assez pauvre, il est davantage traité de l’économie ou des pratiques de gestion dans des espaces francophones identifiés que de la francophonie économique. Bien sûr, il s’agit de recherches nécessaires, mais non suffisantes. L’on peut encourager les linguistes, économistes, gestionnaires notamment à s’engager dans des projets de recherche. Quelle(s) seraient donc les spécificités de cet espace francophone ? Qu’est-ce qui pourraient encourager les francophones à travailler ensemble ? Comment encourager les pays de l’espace francophone à travailler ensemble ?

Bien sûr qu’il ne faut pas oublier d’où vient la Francophonie, ce qu’elle a été et ce qu’elle essaye d’être, mais si l’on ne veut pas constater seulement qu’elle subit les externalités négatives d’une mondialisation effrénée ou les dépendances de sentier d’une histoire politique et institutionnelle, il faut la penser comme projet politique, comme moyen de coordination, comme une arme de construction massive de ce monde qui ne va pas toujours bien.

Comment les universités francophones peuvent-elles participer à la formulation de réponses appropriées aux crises et transformations de nos sociétés ?

Ne pas perdre de vue un rôle universel : Les universités doivent, quoiqu’il en soit, être un lieu de transmission du savoir, de la production, de la valorisation de la recherche afin de doter nos étudiants d’un esprit critique et qu’ils puissent lutter contre tout terrorisme intellectuel.

Une telle conception des universités les place ainsi comme des actrices majeures de l’espace francophone pour contribuer à construire des réponses aux crises et accompagner les transformations de nos sociétés. Éducation et formations sont capitales dans un monde qui doit connaître l’explosion démographiques, je l’ai déjà dit, mais il va falloir accompagner les nouvelles générations avant que les mauvais esprits ne les encadrent.

Les universités francophones font face à des crises et transformations communes certes, mais les réponses apportées ne peuvent pas être identiques, les contextes sont si différents qu’il serait dangereux d’apporter des réponses communes, décontextualisées, sans prendre en compte les spécificités des territoires : Toutes les universités francophones font face à une augmentation du nombre d’étudiants mais pas dans les mêmes proportions, face à la nécessaire intégration du numérique, ou encore au besoin de (re)penser les méthodes de formation mais pas avec les mêmes moyens. Si l’employabilité des étudiants est un objectif commun aux universités, les pays ne font pas face aux mêmes marchés de l’emploi, à une proportion identique du travail formel par rapport au travail informel ou encore à des aides de l’État équivalentes.

Éducation et formation sont les plus beaux leviers constitutifs d’une « arme de construction massive » que peuvent actionner les universités à travers des projets pluridisciplinaires, transversaux et inter-régionaux.

Date de publication : 13/03/2020

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