Manusastra – qui signifie « sciences humaines » en khmer – est le nom d'un projet de coopération entre des institutions d'enseignement supérieur et de recherche françaises, cambodgiennes et laotiennes. Ce projet vise à former une élite régionale francophone, spécialisée dans la gestion et la conservation du patrimoine intellectuel, culturel et historique de la région.
Le projet a vu le jour dans un contexte où les formations en sciences humaines au Laos et au Cambodge se limitaient au niveau licence et étaient de très faible qualité. De plus, très peu d’étudiants dans ces disciplines maîtrisaient le français, pourtant essentiel, car la majorité des documents de recherche sur ces deux pays sont rédigés en français.
Manusastra avait donc pour objectif initial à contribuer au développement de l’enseignement universitaire en sciences humaines au Cambodge et au Laos, tout en renforçant la recherche dans des domaines tels que l’archéologie, l’histoire, l’histoire de l’art, l’ethnologie, l’épigraphie et la linguistique dans la région.
Une première phase du projet Manusastra a commencé en 2012. Elle a consisté à proposer aux étudiants inscrits en licence d’archéologie de l’Université royale des Beaux-arts (URBA) du Cambodge et de l’Université nationale du Laos, une formation estivale intensive de trois mois, en langue française qui porte le nom de circonstance d’« Université des Moussons ».
Le 4 novembre 2014, un accord cadre constituant la seconde phase du projet Manusastra a été signé par les parties prenantes du projet, permettant de créer le Master Langues, littératures et civilisations étrangères et régionales (LLCER). Ce master délocalisé à la faculté d’Archéologie de l’Université Royale des Beaux-arts de Phnom Penh conduit également à l’obtention d’un diplôme national délivré par l’INALCO et reconnu dans toute l’Union européenne.
Quant au volet recherche, le projet Gouvernance et Émergence de la Recherche en Sciences Humaines au Cambodge (GEReSH-CAM) (2016-2019) visait à faire émerger et à structurer une politique de recherche et d’innovation en sciences humaines au Cambodge, en poursuivant les efforts du projet Manusastra pour renforcer la culture de la recherche au sein des établissement cambodgiens.
Une extension des partenariats
Lancé grâce à une collaboration entre l’Université Royale des Beaux-Arts (URBA), l’Université Nationale du Laos et des institutions françaises telles que l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) et l’IRD (Institut de recherche pour le développement), ce partenariat s’est progressivement élargi au cours de ses douze ans d’existence pour inclure divers acteurs académiques et culturels de la région Asie-Pacifique.
Les partenaires actuels du projet comprennent des établissements d’enseignement supérieur et de recherche au Cambodge et en France, parmi lesquels, l’Université Royale de Phnom Penh et l’Institut National de l’Education, le CASE (Centre d’études sur l’Asie du Sud-Est, le CNRS (Centre National de Recherche Scientifique) et l’EFEO (École française Extrême-Orient). L’AUF, l’Ambassade de France au Cambodge, ainsi que le Ministère de la Culture et des Beaux-Arts et le Ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports du Cambodge sont également des partenaires clés.
De nouvelles générations de professionnels francophones en gestion et conservation du patrimoine intellectuel, culturel et historique
Le projet Manusastra a permis de renforcer non seulement les compétences linguistiques de ses participants, mais aussi de répondre à un besoin urgent en matière de recherche dans des domaines aussi variés que l’anthropologie, l’histoire et la linguistique.
Norng Many, membre de la première promotion de 2012 et aujourd’hui doctorante en linguistique à l’URBA-INALCO, souligne l’impact de sa formation sur son travail actuel. Elle se consacre particulièrement aux défis phonétiques et orthographiques du dictionnaire khmer, des questions qu’elle a approfondies lors de ses études à l’INALCO.
Ngov Mesa, passionné par les études en anthropologie et archéologie, et spécialisé dans l’analyse des outils anciens en bronze datant de 5 000 ans, issus de la préhistoire du Cambodge, affirme que ce projet lui a permis « d’acquérir les compétences nécessaires pour analyser les documents de recherche de manière approfondie. »
Keo Polin, ancienne étudiante à l’université de Mousson et titulaire d’un Master 2 en anthropologie, a enseigné le français au sein de l’ONG Pour un Sourire d’Enfant (PSE). Son intérêt pour l’histoire et la recherche l’a conduite à poursuivre ses études à Manusastra, offrant ainsi aux étudiants locaux et internationaux l’opportunité d’approfondir leurs connaissances dans ces disciplines. Son engagement dans la recherche en linguistique, anthropologie et histoire lui a permis de constater un manque de chercheurs spécialisés, notamment dans l’étude de l’histoire et de la société cambodgiennes.
« Les principaux bénéficiaires de ce programme sont sans conteste l’Université Royale des Beaux-Arts et le ministère des Beaux-Arts, qui accueillent un nombre significatif de ressources humaines formées par le projet. », a partagé M. Non Dara, responsable du projet Manusastra. Ces diplômés, désormais enseignants ou collaborateurs au sein de l’URBA, contribuent activement à l’essor de l’enseignement supérieur au Cambodge.
Actuellement, neuf doctorants se préparent pour leurs soutenances de thèse, tandis que cinq autres achèveront leurs études l’année prochaine à l’INALCO, à l’Université de Nanterre, à Toulouse et en Belgique.
Manusastra ne se limite pas à la formation académique et à la recherche ; il répond également à des besoins en ressources humaines dans des institutions culturelles et gouvernementales. Des diplômés du projet occupent désormais des postes importants au ministère de la Culture et des Beaux-Arts, au ministère de l’Environnement, et dans des organisations telles que l’UNESCO et le Centre audiovisuel Bophana. Leur expertise est reconnue et leur contribution est essentielle au développement culturel des pays concernés.
Des défis demeurent, notamment en matière de financement de la recherche. « L’université ne dispose pas de fonds suffisants pour soutenir la recherche, ce qui limite les opportunités des étudiants pour mener des recherches sur le terrain », déplore Mme Yot Yorkho, enseignante à Hun Sen Tbong Khmum et étudiante en Master 2 en anthropologie.
Malgré ces obstacles, le projet continue de progresser. Démarré avec un corps professoral exclusivement composé d’enseignants étrangers, Manusastra a peu à peu vu ses propres diplômés prendre le relais, témoignant du succès du projet dans le renforcement des capacités locales.
Ce projet illustre la volonté de l’ensemble des partenaires, dont l’AUF, de former une nouvelle communauté de chercheurs en sciences humaines, dotés des outils méthodologiques nécessaires pour mener des projets de recherche de niveau international en collaboration avec leurs homologues francophones.
Pour en savoir plus : Site officiel – Projet Manusastra