Le mois de mars a été marqué par la mise en place des mesures de confinement dans plusieurs pays de la région Océan indien. Ces mesures impliquant la fermeture des universités entrainent la suspension des cours. Comment les universités font face à cette situation ? Quelles mesures adoptent-elles pour assurer la continuité pédagogique ? Le Directeur du Centre Universitaire de Formation et de Recherche (CUFR) à Mayotte, Monsieur Aurélien SIRI répond à nos questions.
Monsieur le Directeur, l’annonce du confinement a bouleversé l’organisation des universités, quels ont été les impacts pour le Centre Universitaire de Formation et de Recherche (CUFR) à Mayotte ?
Suite à la décision du Préfet de Mayotte, prise en accord avec le Recteur d’Académie, chancelier des universités, le Centre Universitaire de Formation et de Recherche (CUFR) est fermé aux étudiants depuis le lundi 16 mars 2020. L’accueil à Dembéni des étudiants, en formation initiale et continue, est suspendu jusqu’à nouvel ordre. L’intégralité des cours, travaux dirigés et travaux pratiques sont également suspendus depuis cette date. La quasi-totalité des personnels administratifs et enseignants exercent aujourd’hui leurs activités en mode télétravail. L’ensemble des services du CUFR travaille pour assurer la continuité des missions de service public . Un plan de continuité des services a été adopté par la direction dès le 16 mars permettant d’identifier, d’une part, les fonctions indispensables et, d’autre part, la situation administrative des personnels amenés à travailler en présentiel ou à distance. Par exception, l’activité en présentiel a été maintenue, sous certaines conditions strictes, pour assurer la sécurité du site et pour les activités de recherche (laboratoire et salle d’élevage), dès lors que l’interruption des manipulations conduirait à la perte d’études scientifiques particulièrement complexes à réorganiser. Nous avons été capables de réagir très rapidement à la demande de fermeture de l’établissement car nous avions déjà mis en place un protocole de crise en 2018 à la suite du blocage général de l’île pendant 45 jours résultant d’un mouvement de contestation sociale.
Quelles ont été les mesures adoptées en vue de la continuité pédagogique au sein de votre établissement?
Le CUFR est entièrement mobilisé pour accompagner au mieux les étudiants pendant cette période de confinement pour qu’ils gardent leur rythme de travail. Afin de ne pas compromettre leur réussite, les enseignants ont été invités rapidement (y compris les intervenants extérieurs à Mayotte) à utiliser les ressources numériques mises en place par le CUFR. Des contenus pédagogiques ont été déposés progressivement sur la plateforme Moodle afin de continuer à distance les enseignements. L’enseignant responsable de cette plateforme pédagogique apporte son aide à la création des cours en ligne et à la mise à disposition des séquences de cours ou exercices. Des liens vers diverses ressources peuvent aussi alimenter la plateforme. Les enseignants ont également été invités à sa tenir, dans la mesure du possible, à disposition des étudiants en répondant notamment par courriel à toutes questions portant sur leurs enseignements. Le CUFR a également obtenu des accès à des ressources pédagogiques en ligne (Université Numérique Juridique Francophone pour les étudiants en droit par exemple). Des mails sont également adressés par les enseignants sur la boîte mail institutionnelle des étudiants à partir de listes de diffusion créées par les services de scolarité et informatique pour chaque promotion et dans chaque filière de formation. Une FAQ (foire aux questions) a été rédigée et mise en ligne sur le site Web du CUFR . En réalité, la « casse » est globalement limitée. La majorité des enseignements du second semestre avait en effet déjà eu lieu (environ 70%). La fin des enseignements était prévue le 11 avril 2020 pour les 6 licences générales.
Ce dispositif étant bien rodé et opérationnel, quelles ont été les principales difficultés auxquelles vous avez dû faire face ?
Le contexte local et social de Mayotte rend très complexe tout examen terminal à distance, qui s’opérerait par voie numérique. En effet, plusieurs étudiants n’ont pas d’équipement informatique et n’ont pas d’accès à Internet haut débit. La fracture numérique est particulièrement forte en raison du taux de pauvreté (plus de 80%). Mayotte est le territoire le plus pauvre de la France et la région ultrapériphérique europénne la plus pauvre. Après la rédaction d’un communiqué adressé à la presse de Mayotte le 21 mars 2020, la direction est intervenue au journal du soir de Mayotte 1ère le 21 avril 2020, pour informer le public de l’impact de cette situation exceptionnelle sur le CUFR. La direction a également écrit les 27 et 28 mars 2020 aux trois opérateurs de téléphonie mobile présents à Mayotte pour leur demander, compte tenu de la fracture numérique, de bien vouloir recharger les forfaits des étudiants et leur ouvrir des accès aux données en illimité. Le Recteur de la Région Académique de Mayotte, chancelier des universités, et le Président du Conseil départemental ont été informés de cette démarche le 24 mars 2020, afin de l’appuyer auprès des opérateurs. A ce jour, un opérateur a répondu favorablement au courrier sous réserve, pour le CUFR, d’identifier les étudiants en difficultés titulaires d’un abonnement chez cet opérateur. Aussi, le service de la scolarité a appelé par téléphone les étudiants du CUFR (en dehors des fonctionnaires stagiaires inscrits en Master « MEEF ») pour connaître leurs difficultés d’accès à Internet et leurs opérateurs.
Dans cette pandémie, au-delà de la continuité pédagogique, le CUFR a mis en place un large dispositif pour accompagner les étudiants, le personnel ainsi que la société mahoraise en riposte au Covid-19, pouvez-vous nous en parler ?
Outre les actions bénévoles développées à titre personnel par les personnels du CUFR, l’établissement a mis en place plusieurs dispositifs d’aides :
- l’aide alimentaire en partenariat avec la Croix-Rouge et la DRJSCS pour l’attribution de bons ;
- l’aide sociale d’urgence sous la forme d’une aide financière qui passe par une commission ad hoc ;
- l’aide sociale via la CVEC ;
- l’aide à la connexion.
Le CUFR a également communiqué aux étudiants les différents dispositifs de soutien, y compris psychologique.
Pendant plus de trois semaines, l’établissement, via un sondage téléphonique, a recensé toutes les difficultés que rencontrent les étudiants (accès Internet, besoins en ordinateurs, alimentaires…), ce qui permet non seulement d’avoir un état des lieux des conditions sociales et de travail des étudiants, mais surtout d’identifier les étudiants et de cibler efficacement les actions en leur direction, même si cela reste malheureusement insuffisant compte tenu de l’ampleur des besoins à satisfaire.
Enfin, afin de soutenir les professionnels de santé de Mayotte, le CUFR, via son laboratoire de recherche, a remis des masques, des gants et les produits dont il disposait, permettant de fabriquer du liquide hydroalcoolique, à l’Agence Régionale de Santé.