Gilbert Kishiba Fitula, Recteur de l’Université de Lubumbashi (UNILU) en République démocratique du Congo (RDC), est l’un des deux représentants universitaires de la région Afrique centrale et Grands lacs au Conseil d’administration (CA) de l’AUF. Dans ce témoignage, il parle de sa rencontre avec l'AUF, de ses motivations à accéder à son CA et nous livre son regard sur l'état actuel de l'enseignement supérieur au Congo et dans la région.
Docteur en droit attaché à la Faculté de droit de l’université de Lubumbashi, spécialiste en droit international public et des organisations internationales, Gilbert Kishiba Fitula s’intéresse aux questions relatives au droit minier et au droit de l’environnement. Le prof. Kishiba Fitula est un pur produit du système éducatif local. En effet, il a fait ses études primaires et secondaires en RDC, puis des études de droit à l’université de Kinshasa et à l’université de Lubumbashi où il débute comme conseiller juridique, avant d’embrasser la carrière d’enseignant-chercheur. Il est, par la suite, fondateur et directeur du Bureau de consultance en génie minéralogique et ressources naturelles (COGEREN) et cofondateur du Centre d’excellence pour la démocratie locale (CEDEMOL).
Dans quelles circonstances avez-vous connu l’AUF ?
J’ai entendu parler de l’AUF, alors AUPELF, lorsque j’étais étudiant. Devenu enseignant titulaire, ma connaissance de l’AUF s’est précisée, surtout avec l’implantation du Campus numérique francophone (CNF) de Lubumbashi. Plus tard, en tant que vice-doyen et doyen, j’étais régulièrement amené à orienter les étudiants ainsi que le personnel académique et scientifique vers le CNF. Comme Recteur, mes contacts avec l’Agence se sont accrus. Je suis sollicité pour participer à diverses réunions et conférences. J’ai notamment participé à l’Assemblée générale de Marrakech en 2016. À mon retour à Lubumbashi, je me suis attelé à changer l’image et la perception de l’AUF au sein du corps académique et scientifique par une campagne de sensibilisation visant à augmenter notre participation aux activités de l’AUF, par la fréquentation régulière du CNF de Lubumbashi.
Qu’est-ce qui a motivé votre candidature au sein de Conseil d’Administration de l’AUF ?
Comme dit précédemment, les enjeux académiques, scientifiques et électifs de l’AG de Marrakech ont stimulé en moi l’envie de contribuer à l’essor des universités par l’entremise de l’AUF. Et puisque l’UNILU s’identifie parfaitement à la vision, aux valeurs et aux objectifs de l’AUF, l’envie de consolider notre statut de membre titulaire s’est accrue, de même que la détermination à respecter les engagements pris. Tout ceci m’a donné l’envie de contribuer au balisage de la voie vers la conception d’une éducation supérieure francophone mondiale, de renforcer le réseautage pour plus de partage d’expérience et l’édification de communautés aux pratiques francophones et scientifiques impactantes, d’œuvrer pour la mobilité des experts partout dans le monde au profit de la coopération au développement scientifique et communautaire. Enfin, je souhaite plaider pour une Francophonie tant scientifique qu’universitaire, encline à la résolution des défis sociétaux et pourquoi pas aussi, à titre personnel, œuvrer pour une aide aux systèmes éducatifs nécessiteux au sein de la Francophonie voire au-delà ; tirer profit de l’opportunité que présentent les dispositifs de l’AUF pour l’enseignement et la recherche.
Quels sont vos projets en tant que Représentant universitaire au CA de l’AUF ?
Ils se déclinent dans les actions suivantes que je compte entreprendre :
- Assurer la visibilité de l’AUF en ACGL en augmentant de manière significative les adhésions ;
- Favoriser le réseautage en œuvrant pour le décloisonnement des établissements d’enseignement supérieur par l’initiation d’activités scientifiques et culturelles fédératrices ;
- La mutualisation des centres de recherche et laboratoires grâce au montage des projets communs, la constitution des consortiums, etc. ;
- L’accentuation de la mobilité enseignante et estudiantine dans la région avec l’instauration d’un ‘‘Visa AUF’’ ;
- La certification des compétences en langue française ;
- L’accréditation des laboratoires de recherche ;
- Le classement AUF des institutions d’enseignement supérieur en faisant davantage connaître les publications en langue française ;
- La convocation d’un ‘‘Forum des Recteurs et Directeurs Généraux’’ des établissements d’enseignement supérieur, etc.
Votre regard sur l’état actuel de l’enseignement supérieur au Congo (et de façon plus large dans la région Afrique centrale et Grands lacs) face aux principaux défis des universités ?
Après avoir fait l’état des lieux et accueilli à l’UNILU les états généraux de l’enseignement supérieur et universitaire de la RDC, j’en connais les faiblesses, les menaces, les forces, les atouts et les opportunités. La RDC et l’UNILU se situent dans un tournant décisif de l’application des résolutions de ces états généraux avec comme point de mire l’entrée dans le système LMD. L’une des exigences majeures de l’entrée dans ce système demeure le renforcement de l’usage de la langue française par tous les partenaires éducatifs dans le contexte général où le recours croissant du numérique s’accompagne de la régression de l’usage du français, dans le respect évidemment de la diversité linguistique et culturelle. Je plaide pour le redéploiement et l’essaimage des instituts français dans les grands centres urbains et dans les milieux ruraux de la région. Ces derniers me semblent un atout majeur, non seulement pour la vivacité et l’appropriation efficace et efficiente de cet outil commun d’enseignement et de recherche mais aussi un instrument de partage d’expérience et de culture, en vue d’un développement global et intégré de nos différentes communautés de base.
Par ailleurs je m’engage à explorer la région pour une meilleure connaissance des problèmes cruciaux dans le domaine de l’éducation pour pouvoir bien requalifier, redynamiser et relever le niveau de l’enseignement, étant donné que nos universités ne figurent pas souvent dans les classements mondiaux. Il s’agit donc pour moi de déclencher et d’entretenir en chacune de ces universités, un regard de responsabilité, de redevabilité, d’auto-prise en charge par l’autofinancement des projets à partir d’un partenariat entre elles et le monde de l’entreprise et de résoudre de surcroît la question de l’employabilité et l’entrepreneuriat des jeunes pour briser l’inadéquation entre l’offre de formation et la demande des sociétés. Une attention particulière à la situation de la femme restera une des préoccupations majeures dans toutes ces problématiques.
Quel message voulez-vous transmettre sur la Francophonie scientifique, particulièrement dans la région que vous représentez désormais au CA de l’AUF ?
L’avènement de la Francophonie scientifique impose une transformation numérique, une gouvernance universitaire et une diplomatie scientifique plus internationalisées, une prise de conscience des enjeux socioéconomiques des systèmes éducatifs, par l’entremise des organes exécutifs de l’AUF que sont les bureaux nationaux, les campus numériques francophones, les centres d’employabilité francophone, pour aller vers un leadership scientifique plus tourné vers le réseautage et la coopération internationale. Ma conviction est que l’université est, en fait, le moteur de la société… des sociétés émergentes. J’invite les Recteurs de la région à l’organisation, en mars ou avril prochain, d’un Symposium international sur le thème suivant : « L’eau (or bleu) en Afrique centrale et Grands lacs : enjeux et portée sociétale et économique, environnementale, politique et sécuritaire », sous l’égide de l’AUF.